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La grenouille et le boeuf ou l'art baudruche

La grenouille et le boeuf ou l'art baudruche

 

« Koons, la Grenouille, le Boeuf, Versailles et Dhomps »

dimanche, 18 octobre 2009

Koons, la Grenouille, le Boeuf, Versailles et Dhomps

La Grenouille se voulait aussi grosse que le Boeuf. Jeff Koons exposa à Versailles. J'ai demandé à Catherine Dhomps de peindre un tableau pour une exposition La Fontaine, dont je m'occupe, et qui se tiendra à Portet sur Garonne, en novembre et décembre prochain.

Un tableau est apparu.

On y voit un Boeuf viril, sous une cloche de verre, et sur un meuble, que dix individus environnent : cinq hommes et cinq femmes, dont la peintre, d'âges et d'apparences divers, et qui font face au spectateur. Vers leur droite, un fauteuil vide, où pourrait s'asseoir, pour un portrait, un autre individu. Une grosse Grenouile verte est pendue au plafond par la tête. Des scènes érotiques sont peintes au dessus d'elle.

Précisons que les individus d'en bas sont habillés, et, en principe, pas peints. La Grenouille est donc un corps intermédiaire, visiblement artificiel, entre des représentations de nus et des êtres de chair, vêtus, mais peints, puisque, dans ce tableau, tout est peint.

La Grenouille ne paraît pas gaie. Nul ne se soucie d'elle dans le tableau. Les êtres nus du rang supérieur ont d'autres choses à faire, et ils sont peints : cela les empêche, en principe, de voir le monde réel. Quant aux individus d'en bas, ils regardent vers le Boeuf-Taureau sous cloche ou ailleurs, mais pas vers la Grenouille. Seul, l'éventuel spectateur du tableau, mais que nous ignorons, bien que nous le soyions, la regarde peut-être. Or, elle ne le voit pas, puisqu'elle est peinte, de même que sont peints les nus qui ne la voient pas. On comprend son air triste : nul ne la voit, sauf moi qu'elle ne voit pas.

Le Boeuf, quant à lui, ne fait rien. Il est sous cloche. C'est un Boeuf-cloche, mais presque tous les personnages le regardent : quatre hommes, quatre femmes, et peut-être même la femme de gauche qui tient un guide de Versailles, sur la couverture duquel on voit la Grenouille, mais que cette femme ne voit pas, puisqu'elle projette ses yeux vers la droite, c'est-à-dire, en gros, vers le Boeuf.

Quelque chose cloche dans ce tableau. Quelque chose appelle un commentaire, et porte à faux, d'où le rire et la séduction.

Personne là dedans ne paraît se douter de ce qu'il représente. Mais s'en doute-t-on jamais, au réel ? Quand on croit représenter, l'erreur est généralement forte : ce qu'on voit de nous, c'est notre gros nez, notre chemise mal ajustée, notre verrue, notre mélancolie, notre argent, notre poil.

Spectacteur, je vois tout et je me souviens. Je fais défiler dans ma tête des histoires, et je relie ainsi la Grenouille et le Boeuf, et tous ces gens au Château de Versailles, et Versailles à Jeff Koons. Mais dans le tableau, nul ne paraît se souvenir et savoir. Tout ignore donc la représentation. Les nus en haut se lutinent. La Grenouille se désole. Le Boeuf parade. Les individus considèrent. Le fauteuil vide est vide.

Le vide de ce fauteuil permet au tableau de bien clocher. Il faut de l'espace pour que ça cloche. Mais dans ce fauteuil, par exemple, je pourrais m'installer, moi, le commentateur, et commenter. Je ne serais pas mal... Je regarderais la petite fille aux longues nattes, ou le Boeuf. Je lèverais la tête vers la Grenouille et vers les fesses du plafond. Je parlerais. J'adore parler. Je ferais le guide.

Que dirais-je ? Je dirais qu'il s'agit d'une représentation par Catherine Dhomps de la fable de la Fontaine, que l'artiste s'est plu à faire référence à l'exposition Jeff Koons à Versailles, qu'elle s'y trouve d'autant plus autorisée que La Fontaine a connu Versailles, qu'il l'a même représenté longuement dans les Amours de Psyché et de Cupidon, dont quelque écho se constate aux culs nus d'en haut. Je parlerais. Je lierais. Je ferais étal de mes lectures. Mais le tableau ne clocherait plus. Quelqu'un dirait dans le tableau ce qu'il représente. Fini de rire.

Catherine Dhomps me connaît bien, et elle sait la peinture. Elle m'a donc absenté. Là où Jeff Koons a spectaculairement installé des homards ou d'autres bêtes dans Versailles, elle a creusé un petit trou, certes confortable, qui permet à son tableau de rester, du dedans, en suspension. Ce n'est pas triste. Seule la Grenouille est triste en cette affaire. Jeff Koons lui-même n'a pas à se plaindre. S'il n'est pas dans le fauteuil, on le voit partout. Il gonfle. Ses prix montent. On le considère. Ce tableau même le met en gloire. Il est lui-même le vrai Taureau-Boeuf, puissamment membré, qui se filmait avec la Cicciolina. Il est admirablemeht sous cloche. Et cloche.

Quant à moi, sur l' Astrée, j'écris sur le tableau. A Portet, le 18 novembre, je le commenterai.

On me chasse de l'oeuvre. Je rentre par la parole. Je vis ma vie de boucheur de trous. Tel est le sort du critique : on ne le voit pas, il voit tout, il est plus gros que le Grenouille. Quel faux Koons ! Quel vrai Koons !

Voilà le tableau. La peintre est à droite derrière le fauteuil.

 

Yves Le Pestipon | Voir l'article : Koons, la Grenouille, le Boeuf, Versailles et Dhomps 10:03 dans Artistes , De pictura

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